Écrire et traduire à plusieurs : perspectives didactiques

Qu’il s’agisse de traduction ou de rédaction technique, les métiers de langagiers s’exercent de plus en plus en équipe. Loin des mythes et stéréotypes prégnants du traducteur solitaire, que rappelaient Vandal-Sirois (2011 : 22), Ollier et al. (2015) ou encore Markowicz (2018 : 14), les professionnels de la traduction, de l’interprétation et de la rédaction technique travaillent le plus souvent à plusieurs, qu’ils soient à leur compte ou travaillant en agence. Bien plus, l’offre d’instruments numériques pour communiquer à distance a fortement contribué au développement des pratiques collaboratives, ne serait-ce que pour des révisions croisées ou des échanges de courriels entre traducteurs, réviseurs, auteurs, éditeurs. Des logiciels de communication synchrone aux wikis, les technologies ont renforcé des modalités de travail qui mettent les professionnels en réseaux. Ces réseaux peuvent être formels, au sein des agences, ou informels, comme c’est le cas avec les sous-titrages sauvages (fansubs). Or, ces pratiques collaboratives sont intéressantes parce qu’elles constituent à la fois un moyen, une modalité mais aussi une fin, dans la mesure où la collaboration s’apprend, si on la veut harmonieuse et profitable.

Si elle ne traite pas de traduction littéraire, la revue À tradire. Didactique de la traduction pragmatique et de la communication technique,propose néanmoins, pour son prochain numéro, de s’interroger sur les collaborations des traducteurs, interprètes et rédacteurs techniques et sur la façon dont elles sont introduites, initiées, expérimentées dans le cadre de la formation des futurs professionnels.

Car l’exercice professionnel de la traduction pragmatique peut fort bien être vécu dans une grande solitude, les contacts avec l’extérieur se limitant aux relations commerciales, tout comme il peut impliquer des collaborations suivies, voire intenses, avec d’autres acteurs du processus – des chefs de projets aux réviseurs, en passant par des terminologues ou d’autres traducteurs (le numéro 233 de la revue Traduire en contient plusieurs exemples) –, ou avec des spécialistes, par exemple. Si l’on voit mal comment les rédacteurs techniques pourraient se passer de collaborations, avec leurs collègues (lorsque le service ne repose pas sur leurs seules épaules) ou avec les autres métiers représentés dans leur contexte professionnel, il serait intéressant de cartographier ces collaborations et d’étudier les moyens que les enseignants ont d’y préparer les étudiants. L’interprétation, elle, est peut-être celle des professions étudiées dans notre revue qui met le plus en évidence le fait que la communication, qu’elle soit d’ailleurs monolingue ou multilingue, nécessite la collaboration active de toutes les parties.

Dans tous les cas, la pratique professionnelle s’appuiera sur le vécu en formation, selon les modalités d’enseignement de chaque formation, si ce n’est de chaque enseignant, pour le refléter ou, au contraire, l’infirmer. La coordination des enseignements d’une même formation, l’élaboration (nécessairement collaborative ?) de cursus adaptés (à quoi ?) seront d’ailleurs de nature à favoriser ou non la collaboration dans les formations elles-mêmes et à la prolonger ensuite : entre chaque formation et les acteurs du marché, entre les anciens étudiants et les étudiants actuels, entre les formations…

Il apparaît donc nécessaire de définir les périmètres des collaborations à étudier dans ce numéro ou, du moins, d’établir une liste non exhaustive d’exemples de travaux de recherche qui pourraient éclairer les collaborations existantes ou souhaitables entre les différents acteurs du processus de formation identifiés dans notre ligne éditoriale : corps enseignant, étudiants, professionnels, chercheurs.

Il pourra ainsi être question de problématiques telles que :

  • L’acquisition de savoir-être de nature à favoriser les collaborations dans de futurs contextes professionnels

  • Les apports des projets de groupes au sein des formations de langagiers

  • Les collaborations entre promotions d’étudiants

  • Les résultats de travaux (télé)collaboratifs dans un contexte pédagogique en traduction (comme l’ont fait par ex. Van Egdom et al., 2024 ou Higashi et Frérot, 2023), en terminologie (à l’instar du projet « Terminology without Borders » décrit dans Elbaz & Loupaki, 2023), en interprétation, en communication technique

  • Les moyens, les difficultés, les résultats de la collaboration entre étudiants, entre enseignants ou avec les professionnels

  • La contribution étudiante aux travaux de traduction et de rédaction myriadisés (crowdsourced) et les bénéfices pour la formation de ces futurs professionnels

  • La collaboration des équipes pédagogiques, en interne, et avec les acteurs du secteur pour l’élaboration des formations (étudiée par exemple par Brufau Alvira, 2024)

  • La « collaboration » entre étudiants, professionnels, enseignants et technologies (comme l’envisagent par exemple Lacour et al., 2010 ou Vidrequin, 2023)

  • Les modalités et objets de rétroaction entre pairs et la réflexivité métalangagière/métacognitive induite par les révisions collaboratives

  • Les tâches collaboratives menées dans le cadre de la traduction didactique dans les filières LLCER (Langues, littératures et civilisations étrangères et régionales) ou équivalentes dans d’autres aires institutionnelles

Il est rappelé en outre que la revue se veut un lieu d'expression des parties prenantes de l'enseignement/apprentissage des métiers de langagiers et peut dans cette optique publier d'autres écrits que des articles scientifiques. Nous accueillerons donc avec plaisir, par exemple, des retours d'expérience sur des pratiques d'enseignement où la collaboration occupe une place importante, qu'ils viennent d'ailleurs d'enseignants ou d'étudiants, des travaux étudiants, des témoignages de professionnels, des recensions, etc.

Calendrier et modalités de soumission

Le numéro est coordonné par Yannick Hamon et Giuseppe Sofo. Les articles, originaux, devront être envoyés avant le 15 juin 2025 à l’adresse articles[à]atradire.fr. Les auteurs correspondants devront copier-coller dans leur message la phrase suivante :

Par le présent message, j’atteste que les co-auteurs éventuels de l’article soumis et moi-même, en tant qu’auteur correspondant, avons bien pris connaissance de la charte éthique et déontologique de la revue et y adhérons sans réserve.

Conformément aux règles de la revue, les articles seront préalablement examinés par les coordinateurs du numéro, puis soumis à une évaluation en double aveugle. Les réponses aux propositions de contributions seront données au plus tard fin octobre 2025.

Les textes devront respecter les règles de présentation et d’anonymisation habituellement appliquées par la revue À tradire (consignes aux auteurs). Ils devront être accompagnés d’un résumé de 1 000 caractères maximum et de mots-clés qui, comme le titre de l’article, devront également être traduits en anglais et éventuellement dans une ou plusieurs autres langues au choix (voir politique linguistique dans les consignes aux auteurs).

La revue À tradire est d’abord et essentiellement francophone. Les contributions en français seront donc privilégiées. Le comité éditorial pourra néanmoins étudier également des propositions de contributions dans d’autres langues, à condition que le texte de la contribution soit accompagné par un résumé long en français représentant environ 30 % du volume initial de l’article. La revue peut aussi publier des articles et leur traduction intégrale.

Bibliografía

Voyage en équipage, 2015, Traduire, n° 233, [https://journals.openedition.org/traduire/720], consulté le 30/10/2024.

Artero Paola & Hamon Yannick, 2018, « Révisions collaboratives croisées en ligne : apprendre à réviser à plusieurs et à distance », Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur, 34(2), [http://journals.openedition.org/ripes/1472], consulté le 17/12/2024.

Brufau Alvira Nuria, 2024, « Propuesta consensuada (Delphi) de prácticas docentes para la adquisición de la competencia traductora », Mutatis Mutandis, Revista Latinoamericana de Traducción, 17(1), p. 192-221, [https://revistas.udea.edu.co/public/journals/recursos_html/Mutatis-Html/mutatis-v17n1/v17n1a9.html], consulté le 30/10/2024.

Collombat Isabelle, 2021, « L’enseignement de la traduction à l’université : regards croisés France-Canada », dans T. Levick & S. Pickford (dir.), Enseigner la traduction dans les contextes francophones, Arras, Artois Presses Université, p. 259-278.

Elbaz Pascale, Loupaki Elpida, 2023, « Terminologie collaborative : analyse d’un projet inter-universitaire outillé en contexte européen », Digital Scholarship in the Humanities, 38(1), p. 148-160.

Frérot Cécile, Lavault-Olléon Élisabeth & Karagouch L., 2019, « Designing an Authentic Translation Environment for Future Translators : Integrating a Collaborative and Ergonomic Perspective into Translator Training », dans P. Pietrzak (dir.), inTRAlinea, Special Issue : New Insights into Translator Training, [https://www.intralinea.org/specials/article/2427], consulté le 17/12/2024.

Higashi T., Frérot Cécile, Coulange S., Akihiro H., 2022, « Constitution d’un corpus d’apprenants bilingue et multidimensionnel à partir d’une tâche télécollaborative de traduction », journée d’étude Constitution de corpus écrits d’apprenants en contexte universitaire. Pratiques, enjeux, perspectives acquisitionnelles, Université Grenoble-Alpes, 18 mars.

Higashi T. & Frérot Cécile, 2023, « Activité pédagogique appliquée à la traduction-révision  : Expérience de télécollaboration entre étudiants français et étudiants japonais », Alsic. Apprentissage des Langues et Systèmes d’Information et de Communication, 26(3), Article 3, DOI : 10.4000/alsic.6893.

Jeanmaire G., 2017, « Traduction pédagogique participative et collaborative dans l’enseignement du FLE », The French Review, 90(3), p. 138‑155.

Kalinowski Isabelle, 2002, « La vocation au travail de traduction », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 144 (4), p. 47-54, [https://shs.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2002-4-page-47 ?lang =fr], consulté le 29/10/2024.

Lacour Philippe, Bénel Aurélien, Eyraud Franck, Freitas Any, Zambon Diana, 2010, « TIC, collaboration et traduction : vers de nouveaux laboratoires numériques de translocalisation culturelle », De la localisation à la délocalisation – le facteur local en traduction, Meta : journal des traducteurs/Meta : Translators’ Journal, vol. 55, n° 4, décembre, , Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, p. 674-692, [https://www.erudit.org/fr/revues/meta/2010-v55-n4-meta4003/045685ar/], consulté le 30/10/2024.

Markowicz André, 2018, Partages : un an de chroniques sur Facebook, juin 2013-juillet 2014, Paris, Éditions Inculte, collection « Barnum ».

Ollier Nicole, François Lhorine, Zemmour Joachim, 2015, « « Passages » : embarquement pour la traduction poétique en équipage », Voyage en équipage, Traduire, n° 233, p. 14-22, [https://journals.openedition.org/traduire/720], consulté le 30/10/2024.

Springer C., 2018, « Parcours autour de la notion d’apprentissage collaboratif : didactique des langues et numérique », Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur, 34(2), [http://journals.openedition.org/ripes/1336], consulté le 17/12/2024.

Van Egdom Gys-Walt, Schrijver Iris, Verplaetse Heidi, Segers Winibert, 2024, « The impact of collaborative processes on target text quality in translator training », The Interpreter and Translator Trainer, 18(3), p. 486-506, [https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/1750399X.2024.2320512], consulté le 30/10/2024.

Vandal-Sirois Hugo, 2011, « Publicités multilingues : l’apport du traducteur en agence de communication marketing », dans Élisabeth Lavault-Olléon (Sous la direction de), Traduction et Ergonomie, ILCEA, 14, [https://journals.openedition.org/ilcea/1031], consulté le 29/10/2024.

Vidrequin Magali, 2023, Évaluation de la qualité de la traduction automatique à base de réseaux neuronaux et apports de la collaboration traducteur/machine à la traduction du discours médical : une approche de la pratique indépendante, Thèse de doctorat en traductologie préparée sous la direction de Katell Hernández Morin et Christine Evain, soutenue le 17 novembre, Rennes, Université Rennes 2.

Autores

Yannick Hamon

DSLCC, Université Ca’ Foscari de Venise (Italie)
yannick.hamon[à]unive.it
Yannick Hamon est enseignant chercheur à l’université Ca’ Foscari de Venise. Il est titulaire depuis 2013 d’un doctorat en Traduction, Interprétation et Interculturalité obtenu au Département Interprétation et Traduction (DIT) de l’université de Bologne où il a enseigné pendant dix ans. Il y a également effectué un contrat post-doctoral sur la traduction collaborative à distance. Ses recherches portent entre autres sur l'utilisation des technologies pour l'enseignement/apprentissage de la production écrite et de la traduction mais il s’intéresse aussi à l’analyse des discours politiques. Depuis 2018, il donne des cours de langue française et d’analyse du discours au département DSLCC en licence et master.

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Giuseppe Sofo

Giuseppe Sofo est Maître de conférences (Professore associato) en Langue, traduction et linguistique française à l’Université Ca’ Foscari de Venise. Il est titulaire d’un doctorat avec label européen de l’Université d’Avignon et de La Sapienza, Rome. Il a enseigné dans plusieurs universités en Italie, en France et aux États-Unis. Il a publié les monographies I sensi del testo : Scrittura, riscrittura e traduzione (2018) et Les éclats de la traduction : Langue, réécriture et traduction dans le théâtre d’Aimé Césaire (2020), co-dirigé un recueil d’essais (Sulla traduzione, 2015), un numéro de revue consacré au « Genre de la traduction » (de genere, n° 5, 2019), un volume collectif (Traduction humaine et traitement automatique des langues : Vers un nouveau consensus ?, 2023) et un numéro de revue consacré à la « Génétique des traductions » (Continents manuscrits, n° 21, 2023). Il a traduit du théâtre, de la prose et de la poésie du français, de l’anglais et de l’allemand vers l’italien. 

David ar Rouz

David ar Rouz exerce la traduction depuis 1999. En 2015, il rejoint l’Université Rennes 2 en tant que maître de conférences en traduction et membre de l’unité de recherche LIDILE (Linguistique – Didactique des langues – Ingénierie), axe TRASILT (Traduction spécialisée, ingénierie linguistique, terminologie). Ses recherches portent sur les enjeux de la traduction institutionnelle, les politiques de traduction et les langues minorées. Il s’intéresse aussi aux outils du traducteur, à la linguistique de corpus et à leur contribution à l’apprentissage, à l’étude et à la traduction de langues comme le breton. Il participe par ailleurs à la formation de futurs langagiers dans le parcours Traduction et rédaction spécialisées de la licence Langues étrangères appliquées et dans le master Traduction et interprétation, dont il est co-responsable.

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