Encore une revue ?! Oui, mais…

Éditorial n° 1

Testenn glok

Comme Yves Gingras (David & Zimmer, 2022), nous considérons que les publications scientifiques sont pléthoriques et sortent à un rythme effréné, y compris dans le jeune champ de recherche que constitue la traductologie. Il conviendrait donc d’en diminuer le nombre et d’en améliorer la qualité. Alors, nous direz-vous, pourquoi créer une nouvelle revue scientifique ?

D’abord parce que, si les revues en traductologie ne manquent pas, celles qui traitent spécifiquement de la didactique de la traduction et de l’interprétation sont rares : en fait, il en existe une seule, à notre connaissance. Quant à des revues qui traitent explicitement de communication technique, nous n’en connaissons pas d’autres que les revues scientifiques américaines, dont le Journal of Technical Writing and Communication, qui traite de didactique, ainsi que Technical Communication Quarterly, et les revues liées à des associations professionnelles (par exemple Technical Communication de la Society for Technical Communication).

Cela ne signifie évidemment pas qu’il n’existe pas de publications scientifiques sur ces sujets : les nombreuses revues de traductologie publient régulièrement des articles sur la didactique de la traduction (par exemple Kelly, 2008 ; Collombat, 2009 ; Popineau, 2016 ; etc.). Les chercheurs en communication technique, eux, publient dans des revues de didactique des langues (par exemple Dressen-Hammouda, 2016) ou autres (par exemple van der Meij, 2017) mais pas si souvent au sujet de didactique de la communication technique. Des ouvrages, collectifs ou non, traitent bien sûr aussi de ces sujets. Citons ceux déjà anciens de Durieux (1988) et Ballard (1993) ou encore Gile (2005), mais aussi Meunier et al. (2013). En rédaction technique, l’ouvrage de Ganier (2013) traite de documentation technique, pas de didactique de la profession. Mais on peut considérer qu’il n’existe pas de « lieu », fût-il virtuel, pour accueillir les débats de la « communauté didactique » que forment ensemble les étudiants, les enseignants, les enseignants-chercheurs et les professionnels de la traduction et de la communication technique.

En outre, la seule revue existant sur la didactique de la traduction et de l’interprétation est exclusivement en anglais. Il n’aura échappé à personne que la science se fait de plus en plus dans cette « lingua franca », comme le constatent les scientifiques du monde entier (Lévy-Leblond, 2007 ; Oustinoff, Nowocki & Da Silva, 2010 ; Crystal, 2003), et c’est aussi le cas dans nos disciplines. La traductologie, sortie du provincialisme signalé par Froeliger (2022), ne fait sans doute pas ou plus exception et l’hégémonie d’une langue sur les autres concerne tout autant, au quotidien, les professionnels exerçant les métiers de la communication technique et de la traduction. Ne forme-t-on pas, en France, les futurs rédacteurs techniques à travailler directement en anglais ?

C’est pourquoi, quand Yannick Hamon a souligné, dans sa communication au colloque L’apprenant en langues et dans les métiers de la traduction : source d’interrogations et de perspectives, le 31 janvier 2019, l’absence de revue francophone sur la didactique de la traduction, nous avons trouvé que le défi valait la peine d’être relevé. Défi double, en réalité : créer une revue, y traiter de la didactique de professions et de disciplines éminemment pluridisciplinaires, et la doter d’emblée d’une politique linguistique ambitieuse, qui fasse la part belle au français et joue aussi la carte de l’ouverture à d’autres langues.

Pour le premier défi, nous avons bénéficié du soutien inestimable de la Maison des sciences de l’Homme en Bretagne (MSHB) et de son projet REGOSO (« Revues du Grand Ouest : accompagnement gradué et mutualisé vers la science ouverte »), lauréat d’un appel à projets du Fonds national pour la science ouverte (FNSO). Tous nos remerciements, donc, au personnel de la MSHB engagé dans ce projet, ainsi qu’à Samuel Jan, le graphiste qui a travaillé avec nous pour établir la charte graphique de la revue.

Le second défi, celui du multilinguisme, se manifeste très concrètement dès la mise en ligne de ce premier numéro par les versions linguistiques du site que nous sommes en mesure de vous proposer. Pour cela, je remercie chaleureusement :

  • les traductrices et traducteur : Carmen Lohse pour l’allemand, Daniel et Isabelle Toudic pour l’anglais, Lena Catalan-Marcos pour le breton, Margarida Llabrés-Rotger pour l’espagnol, Susanna Fiorini pour l’italien ;
  • les partenaires du colloque L’apprenant en langues et dans les métiers de la traduction : source d’interrogations et de perspectives, dont le budget global a permis cette localisation rapide et professionnelle :
    • l’Association française des arabisants (AFDA)
    • l’Association française des formations universitaires aux métiers de la traduction (AFFUMT)
    • le Centre international rennais d’étude de français pour étrangers (CIREFE)
    • la Commission de la Recherche de l’Université Rennes 2
    • la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) du ministère de la Culture
    • les Écoles de Saint-Cyr-Coëtquidan
    • l’Institut des Amériques de Rennes (IDA-R)
    • l’unité de recherche LIDILE (Linguistique – Ingénierie – Didactique des langues) de l’Université Rennes 2
    • Rennes Métropole
    • le Service commun d’étude des langues vivantes appliquées (SCELVA) de l’Université de Rennes 1
  • le personnel de la Cellule recherche de l’UFR Langues de l’Université Rennes 2.

On distinguera en tout cas cette politique linguistique des langues dont les différentes contributions à la revue traiteront. Ainsi aura-t-elle bien sûr vocation à accueillir aussi bien un article scientifique en français sur l’enseignement de la rédaction technique en anglais qu’un article en allemand sur celui de la traduction technique de l’anglais vers l’allemand. Le comité éditorial veillera simplement à ce que, globalement, le français soit la langue majoritaire des contributions réunies en un même numéro.

Le sujet du colloque rennais de 2019, l’apprenant, se prêtait aussi à ce que nous relevions le gant. C’est pourquoi nous vous proposons dans ce premier numéro un dossier constitué d’articles tirés de communications qui ont été prononcées à Rennes début 2019 :

  • Vous lirez ainsi d’Isabelle Collombat, dans la continuité de sa conférence plénière, « Prolégomènes à une approche expérientielle de la traduction ». Elle y rend compte d’expériences didactiques visant à mettre très concrètement les étudiants en action pour la rédaction et la traduction de « textes opératifs ». Outre le facteur de motivation important que cela représente et les démarches pertinentes que certaines étudiantes ont enclenchées d’elles-mêmes, la réflexion montre aussi le caractère fondamental de l’implication du traducteur comme sujet, c'est-à-dire avec ses expériences et ses émotions, dans l’acte de traduire.
  • Yannick Hamon, lui, s’était intéressé à « L’enseignement de la traduction dans les filières LLCER : quelles pratiques, quels apprenants ? ». Il reprend ici la présentation d’une enquête exploratoire menée à la fois en Italie et en France pour tâcher de déterminer en particulier l’usage des technologies numériques dans ces filières à effectifs souvent plus importants que dans les cursus de traduction professionnelle. Il cherche aussi à déceler la mise en place de pratiques collaboratives au moyen de tels outils. Si la pédagogie de la traduction didactique semble évoluer pour se rapprocher de celle de la traduction professionnelle, le chemin paraît toutefois encore long avant que les pratiques collaboratives et outillées puissent prendre résolument pied dans ces filières.
  • Pour sa part, Alice Ray avait rendu compte de son travail de thèse, dont elle extrait ici une « Proposition d’utilisation des créations lexicales de la science-fiction comme ressource terminologique dans l'enseignement de la traduction ». Elle y tient compte à la fois du caractère parfois ardu que l’enseignement de la terminologie revêt et du besoin pourtant indubitable pour les futurs traducteurs de la connaître pour traiter les termes auxquels ils sont confrontés. Elle explore donc la piste d’un enseignement de grands principes terminologiques à travers deux ateliers conçus à partir de créations lexicales que l’on trouve dans des écrits de science-fiction. Nul doute qu’une telle approche est susceptible, par son côté ludique et créatif, de rendre l’apprenant en traduction plus réceptif à une méthode par ailleurs rigoureuse de traitement des termes spécialisés en traduction.
  • Enfin, Cédric Choplin aborde non plus la didactique de la traduction mais la traduction comme outil didactique dans « De la traduction des manuels d’histoire-géographie en breton ». Il suggère que ce type de traduction pour une langue minorée a des effets sociolinguistiques pour les apprenants, mais décrit surtout, à partir d’une enquête informelle auprès d’enseignants d’histoire-géographie dans le secondaire et de TES (Ti-embann ar skolioù), l’éditeur de manuels scolaires pour le breton au sein de Canopé, le processus très progressif de mise en place d’une terminologie disciplinaire et d’une procédure adéquate pour la traduction de tels ouvrages. Il explique également l’appropriation de ce travail par les enseignants et les apprenants sur le terrain.

Pour des raisons diverses, les collègues qui avaient participé au colloque dans l’axe « traduction et terminologie » (car nous n’avions pas reçu de propositions de communication sur la rédaction technique) n’ont pas tous pu envoyer leur contribution. Qu’ils sachent ici que la revue leur restera ouverte : si plusieurs nous envoient leur texte dans les mois qui viennent, nous pourrons consacrer un deuxième numéro à cette thématique. Mais nous pourrons aussi publier les textes un par un en varia à côté d’un autre dossier thématique.

Le prochain numéro de la revue sera ainsi consacré à l’enseignement de l’interprétation, avec Pascale Janot et Caterina Falbo comme coordinatrices invitées. Nous vous invitons, si vos recherches portent sur ce sujet ou si, en tant qu’enseignants, professionnels ou étudiants, vous souhaitez prendre la parole dans une rubrique distincte du dossier scientifique, à consulter l’appel à contributions en cours et à prendre la plume. (Enfin… le clavier !)

C’est par ces rubriques à côté du dossier thématique scientifique que nous souhaitons faire de la revue un lieu d’échange entre les parties prenantes du processus didactique. Nous ne bouderons donc pas notre plaisir de voir ce fonctionnement inauguré dès le premier numéro avec la belle proposition de notre collègue Caroline Rossi de publier une traduction effectuée par les étudiants grenoblois. Nous avons intitulé la rubrique « Travaux étudiants », dans laquelle nous distinguerons ce type de traductions par le sous-titre « Traduire la traductologie », un projet lancé il y a longtemps par Nicolas Froeliger et qui trouve enfin ainsi un débouché. Un autre sous-titre de cette rubrique pourra être, par exemple, « Avis de recherches » pour des premiers travaux de recherche d’étudiants.

La ligne éditoriale ouvre encore la porte à d’autres rubriques. À vous d’y entrer et de partager par cette revue aussi bien ce qui vous pose problème que ce qui vous enthousiasme. Elle sera ce que vous en ferez, toutes et tous, avec nous.

Levrlennadur

Ballard Michel (dir.), 1993, La traduction à l’université. Recherches et propositions didactiques, Lille, Presses Universitaires de Lille.

Collombat Isabelle, 2009, « La didactique de l'erreur dans l'apprentissage de la traduction », JoSTrans, The Journal of Specialised Translation, n° 12, juillet, p. 37-54, [https://jostrans.org/issue12/art_collombat.php], consulté le 20 octobre 2022.

Crystal David, 2003 (1997), English as a Global Language, Cambridge, Cambridge University Press, 2e éd.

David Mary & Zimmer Alexandre, « Il faut ralentir le système de publication », le snesup, Édition scientifique. Points de vigilance, n° 705, mai 2022.

Dressen-Hammouda Dacia, 2016, « Rédactologie et LANSAD : une didactique de l’écrit ciblée sur les besoins contextuels de l’apprenant L2. » Études en didactique des langues, n° 22, p. 9-40.

Durieux Christine, 1988, Fondement didactique de la traduction technique, Paris, Didier.

Froeliger Nicolas, 2022, « Medhat-Lecocq, Héba (2021) : Terminologie comparée et traduction. Approche interdisciplinaire. Paris : Éditions des archives contemporaines, 260 p. », Meta : journal des traducteurs, vol. LXVII, n° 1, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2022, p. 246-248.

Ganier Franck, 2013, Comprendre la documentation technique, Paris, Presses Universitaires de France, Collection « Le Travail humain ».

Gile Daniel, 2005, La traduction. La comprendre, l’apprendre, Paris, Presses Universitaires de France, Collection « Linguistique nouvelle », [https://www.cairn.info/la-traduction-la-comprendre-l-apprendre--9782130525004.htm], consulté le 20 octobre 2022.

Kelly Dorothy, 2008, « Training the Trainers: Towards a Description of Translator Trainer Competence and Training Needs Analysis », TTR : traduction, terminologie, rédaction, vol. 21, n° 1, p. 99-125.

Lévy-Leblond Jean-Marc, 2007, « Sciences dures et traduction », dans Joanna Nowicki, Michaël Oustinoff (dir.), Traduction et mondialisation, volume 1, Hermès, n° 49, Paris, CNRS Éditions, p. 205-211.

Meunier Mariette, Charret-del Bove Marion, Damette Éliane, 2013, La traduction juridique : points de vue didactiques et linguistiques, Publications du Centre d'études linguistiques, [https://hal-univ-lyon3.archives-ouvertes.fr/hal-00980068/document], téléchargé le 20 octobre 2022.

Oustinoff Michaël, Nowicki Joanna, Machado Da Silva Juremir (dir.), 2010, Traduction et mondialisation, volume 2, Hermès, n° 56, Paris, CNRS Éditions.

Popineau Joëlle, 2016, « (Re)penser l'enseignement de la traduction professionnelle dans un master français : l'exemple des zones d'incertitudes en traduction médicale », Meta : Journal des traducteurs/Meta: Translators' Journal, vol. 61, n° 1, mai, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, p. 78-103, [https://www.erudit.org/fr/revues/meta/2016-v61-n1-meta02588/1036984ar/], consulté le 20 octobre 2022.

van der Meij Hans, 2017, « Reviews in instructional video », Computers and Education, vol. 114, novembre, Elsevier, Ltd., p. 164-174, [https://www-sciencedirect-com.distant.bu.univ-rennes2.fr/science/article/pii/S0360131517301549?via%3Dihub], consulté le 20 octobre 2022.

Menegiñ ar pennad-mañ

Dave elektronek

David ar Rouz, « Encore une revue ?! Oui, mais… », À tradire [Enlinenn], 1 | 2022, lakaet enlinenn : 20 décembre 2022, bet gweladennet : 21 novembre 2024. URL : https://atradire.pergola-publications.fr/index.php?id=107

Oberour

David ar Rouz

Rédacteur en chef, maître de conférences à l’Université Rennes 2, LIDILE, axe TRASILT (France)

Pennadoù gant ar memes oberour

Gwirioù oberour

Licence Creative Commons – Attribution 4.0 International – CC BY 4.0